Vie dans l’espace : impacts métaboliques et nutritionnels

Vie dans l’espace : impacts métaboliques et nutritionnels

La NASA a récemment réalisé une conférence (sobrement intitulée « Space Food and Nutrition ») dans laquelle est enseigné comment l’agence spatiale calcule les besoins nutritionnels, très spécifiques, des astronautes.

Voici (très succinctement), ce qui y est expliqué par le docteur Scott M. Smith :

Méthodes d’évaluation des besoins :

-Évaluation clinique de la santé des membres de l’équipage. Un bilan nutritionnel complet (comprenant bilans sanguins, analyse d’urine, …)  est réalisé 2x avant le vol pour être sûr de ne rien détecter d’anormal et à nouveau au retour. Pendant la mission, les astronautes doivent régulièrement compléter un questionnaire (une fois par semaine) qui aide les équipes au sol à juger de leur bon état de santé.

Ground Research (Recherche au sol) : Le but est de simuler les conditions de vie dans l’espace pour effectuer des recherches, ce qui, en plus d’être beaucoup moins cher que l’expérimentation dans l’espace peut permettre aux chercheurs d’entrer directement en contact physique avec les cobayes.

Exemples de simulation :

Bed Rest : Mettre les cobayes au lit pour 60 à 90 jours. Ce test permet d’imiter partiellement les pertes osseuses et musculaires auxquelles sont soumises les astronautes (dû à l’absence de gravité). La perte de masse osseuse est 2x plus rapide dans l’espace que dans ces conditions.

-Faire vivre des personnes au fond de l’océan pour une semaine ou deux, l’environnement y est hyperoxique (100% d’oxygène) tout comme dans les combinaisons spatiales.

-En Antarctique : étudier les effets de l’absence à l’exposition au soleil pour 6 mois.

Première prise de sang réalisée sur l’ISS

Depuis peu une centrifugeuse et un congélateur (pour stocker des échantillons de sang) ont été amenés dans la station spatiale internationale, permettant d’étudier le bilan sanguin des astronautes pendant la mission, ce qui n’était pas possible avant. Depuis 225 prises de sang ont été réalisées.

Les astronautes disposent d’Ipad avec une application « ISS FOOD INTAKE TRACKER » qui leur permet de savoir, en fonction de ce qu’ils ont consommés, s’ils doivent augmenter leur apport calorique, limiter celui en sodium,…

Changements constatés sur l’organisme :

-Les besoins vont grandement varier en fonction du type de mission (l’individu peut rester à la base station ou au contraire effectuer des phases d’exploration spatiale (Space Walking) d’une durée de 10 à 12h maximum, tous les jours. Dans ce dernier cas, l’astronaute (enfermé dans sa combinaison), ne peut par exemple pas porter ses mains à la bouche…) et surtout de sa durée (« You can eat twinkies for 2 weeks and get away with it. I’ll wouldn’t advise it. But you can get away with it. On a longer duration mission, that becomes a big deal. » : « Vous pouvez manger des twinkies pendant 2 semaines et vous en sortir. Je ne le conseillerais pas. Sur une mission à durée plus longue, ça devient un problème. » Les équipes de la NASA prévoient d’envoyer des astronautes pour 5 à 7 ans dans l’espace. Il est complexe de prévoir un stock de nourriture pour 5 ans qui puisse permettre de conserver un bon état physique.

-L’environnement des combinaisons est hyperoxique ce qui provoque une accumulation de radicaux libres et entraîne donc un stress oxydatif massif et peut également être responsable de perturbations dans le métabolisme du fer.

-Dans l’espace, le corps est affecté par des radiations qui augmentent le stress oxydatif.

-Energie : Parce qu’il n’y a pas de gravité sur l’ISS la sensation de satiété est visiblement différente : la nourriture n’a pas de poids dans l’estomac, elle « flotte ». Les astronautes ne consomment que rarement la totalité de leurs rations car la faim est moins présente.

-Protéines : Les astronautes consomment trop de protéines. Pour certains jusqu’à 2.2g/kg/j. Cette surconsommation épuise notamment les reins et le système osseux (déjà fragilisé).

-Fer : La nourriture des astronautes contient énormément de fer, pour cette raison a été constatée une surconsommation de fer (ce qui est plutôt rare en nutrition, nous avons plutôt tendance à en manquer), jusqu’à 40mg/j. Le système circulatoire est moins sollicité dans l’espace (il est plus facile d’amener le sang aux organes en absence de gravité), conduisant à une perte de volume sanguin de 10 à 15%. Cette destruction de sang augmente le stock de fer, qui augmente le stress oxydatif et la perte de masse osseuse.

La perte de masse osseuse est liée à un stock de fer trop important

-Vitamine D : Après le vol, le stockage de vitamine D diminue d’un tiers, bien que des compléments soient donnés à l’équipage. L’absence d’exposition au soleil et la faible teneur en vitamine D des aliments disponibles expliquent ce phénomène. L’exposition aux radiations que subissent les astronautes est un facteur favorisant l’apparition d’un cancer, la NASA ne préfère pas en plus ajouter des lampes à UV, susceptibles de déclencher un cancer de la peau.

-Calcium : Le volume d’urine sur 24h est plus faible que sur Terre, ce qui s’explique par une restriction hydrique et le fait que l’air est plus sec (l’humidité est faible et donc la perte d’eau par respiration est plus importante qu’en conditions normales). La concentration de calcium urinaire est par conséquent plus forte ce qui représente un problème majeur puisque le calcium endommage fortement l’équipement de recyclage de l’urine (qui est transformée en eau potable, apport principal en eau pour l’équipage). Le problème est actuellement en phase de résolution avec l’obligation pour les astronautes de consommer plus d’eau, permettant une moindre concentration de calcium. Cela est d’autant plus important que l’apport en calcium doit être particulièrement élevé pour prévenir la perte osseuse.

-Exercice : La NASA a changé en 2008 l’équipement qui permet a l’équipage de faire de l’exercice (passant de iRED à ARED). Ce nouvel appareillage permet aux astronautes de pousser des charges plus lourdes. Pour la première fois en 65 ans, un astronaute est revenu sur Terre sans avoir perdu de densité osseuse. Au nouveau du métabolisme de l’os, l’action des ostéoclastes (cellules qui ont pour mission de détruire le tissu osseux) est naturellement fortement augmentée dans l’espace tandis que l’action des ostéoblastes (constituent le tissu osseux) demeure la même. Il est intéressant de constater que ce nouveau mode d’exercice augmente l’action des ostéoblastes, et c’est pourquoi la densité osseuse se maintient.

iRED vs ARED, Source : Human Adaptation to Spaceflight : The Role of Nutrition

-La pression intracrânienne est augmentée, provoquant à terme pour certains sujets des problèmes de vision. Ces soucis ophtalmologiques semblent avoir une origine génétique.

Conclusion :

De nombreux problèmes s’opposent à la vie, ou au voyage de longue durée dans l’espace. Adapter l’alimentation et par extension l’organisme à cet environnement bien plus hostile qu’il n’y parait de prime abord est un challenge qui risque d’occuper encore la NASA pour de nombreuses années.

Pour aller plus loin :

La conférence : https://www.youtube.com/watch?v=bjuN15J59io&t=988s

Livres :

-Nutritional Biochemistry of Space Flight : https://www.novapublishers.com/catalog/product_info.php?products_id=20061

-Human Adaptation to Spaceflight : The Role of Nutrition : https://www.nasa.gov/sites/default/files/human-adaptation-to-spaceflight-the-role-of-nutrition.pdf